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Qu’ont en commun une laveuse, une sécheuse, un grille-pain, une perceuse et un tournevis ? Ce sont tous des objets dont les noms décrivent les services qu’ils apportent. Parvenir à nommer et quantifier les services est indispensable pour toute analyse de cycle de vie (ACV). Pourtant, ce n’est pas une mince tâche. Voici donc quelques subtilités que les chiffres d’ACV seuls ne sauraient convoyer.

L’ACV permet de documenter les impacts environnementaux de produits et services, mais aussi d’établir un langage commun pour la comparaison de la performance environnementale des produits et services. En principe, une comparaison entre produits ou services semble simple, il suffit de prendre les résultats d’une ACV (ex. : le nombre de kilogrammes de CO2-équivalents) et les opposer à ceux du produit ou service comparé. Il y a toutefois deux pièges à éviter : oublier de comparer des pommes avec des pommes et manquer de déterminer combien il y a de pommes.

  • Comparer des pommes avec des pommes

Comparer les impacts environnementaux d’une perceuse à ceux d’un grille-pain est tout simplement futile : les services ne sont pas les mêmes. Ce serait l’équivalent d’essayer de comparer des pommes à des oranges. Il est préférable de comparer deux perceuses, ou encore deux grille-pains ensemble. Il n’est pourtant pas nécessaire que deux produits ou services utilisent des technologies similaires pour être comparables. Il est tout à fait possible de comparer les impacts environnementaux de factures numériques à ceux de factures en papier. Dans les deux cas, le service final revient à permettre de consulter un résumé de transactions. 

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Les subtilités qui permettent une comparaison de services à priori différents…

Il existe des situations où il devient désirable d’opposer des services qui ne sont pas équivalents. Prenons l’exemple d’un agriculteur qui doit choisir entre la production de soya et la production de maïs pour un seul et même champ. Ici, les cultures de soya et de maïs ne partagent pas les mêmes débouchés, donc n’offrent pas le même service. Cela n’élimine pas l’intérêt de comparer les deux.

De façon pratique, l’ACV typique élucide cet enjeu au moyen de collections de services. Comme le montre la figure 1, la comparaison à services inégaux de la production de maïs avec la production de soya peut être recontextualisée en élargissant les horizons. La collection A serait donc constituée d’un service où l’agriculteur A choisit de cultiver le maïs dans son champ, en plus d’un service de production de soya provenant d’une autre ferme B. La collection B serait constituée du choix opposé où l’agriculteur A cultive le soya dans son champ, combiné avec l’ajout d’un service de production de maïs provenant d’une autre ferme C. La nature des services de la collection A deviendrait alors comparable à la nature des services développés par la collection B, permettant de comparer les impacts pour les deux alternatives s’offrant à l’agriculteur A !

Figure 1 - Enjeux pour une comparaison équivalente de services
  • Déterminer combien il y a de pommes

Comparer les impacts environnementaux de deux montres analogiques peut sembler évident : les deux permettent de consulter l’heure. Toutefois, cette comparaison serait incomplète sans tenir compte des durées de vies des montres (particulièrement des batteries). La durée de vie influence le nombre de jours pour lesquels l’heure peut être consultée avec chaque montre, il s’agit d’un paramètre clef pour établir combien de service est apporté dans la comparaison. Il faudra prendre pour référence 2 montres à durées de vies de 5 ans pour se comparer à une seule montre à durée de vie de 10 ans!

Les subtilités pour parvenir à quantifier certains services…

Prenons l’exemple d’un véhicule lourd chargé de marchandise : son service est typiquement de transporter des marchandises (masses ou volumes) entre un point A et un point B. Quantifier ce service pour qu’il soit représentatif de tous les impacts environnementaux encourus est toutefois plus difficile :

    • Pour une livraison d’un point A à un point B, est-ce que le véhicule est entièrement rempli d’un seul type de produit n’ayant qu’une seule destination ou de plusieurs produits dédiés à plusieurs destinations?
    • Sachant qu’un véhicule doit respecter une limite de charge (masse) et des dimensions (volume) prescrites, la masse et le volume du chargement peuvent devenir des paramètres limitants tour à tour dans le cycle de vie d’un même véhicule. Comment cela affecte-t-il la quantité finale de service? Il est d’ailleurs fort probable que l’espace de chargement du véhicule ne sera pas utilisé au maximum pour tous les déplacements.
    • Si le service de transport s’achève une fois que le véhicule est rendu au point B, à quelle marchandise attribue-t-on les impacts environnementaux du trajet de retour parcouru par le véhicule ?

L’ACV typique utilise alors le service total obtenu (ex. : la somme des produits entre les masses transportées et les distances parcourues), où tous les impacts environnementaux du cycle de vie du véhicule utilisé pour le transport de marchandises seront redistribués au prorata des kilogrammes transportés et kilomètres utiles parcourus. La figure 2 met en scène deux exemples de circuits pour illustrer cette notion.

Figure 2 - Exemples de circuits pour le transport de marchandises

À la figure 2, les deux trajets débutent avec des camions vides. Les camions parcourent 2 kilomètres à vide pour être chargés à bloc à l’entrepôt (exemple : 3000 kilogrammes). De l’entrepôt, ils rejoignent le commerce où ils livrent la marchandise. De cet endroit, le camion du trajet A parcourt 12 kilomètres à vide jusqu’au point de départ. De son côté, le camion du trajet B ne dépose que la moitié de son chargement (1500 kilogrammes). Il continue vers son deuxième arrêt qui se situe 5 kilomètres plus loin. Il retourne ensuite à vide vers son point de départ. Les bilans sont donc les suivants :

  • Le camion du trajet A a fourni un service de 3000 kilogrammes x 10 kilomètres. Toutefois, il est évident que le camion a aussi généré des émissions avant de débuter le service, et après l’avoir achevé. Les impacts environnementaux de ce service sont alors bien représentés si, pour chaque kilomètre parcouru entre l’entrepôt et le commerce, les émissions liées à parcourir 1.4 kilomètre à vide sont ajoutées à la modélisation ([2+12]/10 = 1.4).
  • Dans le deuxième exemple plus complexe, le camion du trajet B a généré un service de 1500 kg x 10 km pour la première livraison, en plus d’un service de 1500 kg x (10 + 5) km pour la seconde livraison. Le total du service est alors de 37 500 kg-km. Il est ainsi obtenu que la première livraison de ce trajet récupère 40 % des émissions ([1500 x 10] / 37 500), contre 60 % pour la seconde livraison. Ce service est relativement bien représenté si, pour chaque kilomètre parcouru, les émissions liées à parcourir 0.6 kilomètre à vide sont ajoutées à la modélisation ([2+7]/15 = 0.6).

Bref, quantifier un service est un enjeu qui peut être relativement simple (comme l’exemple des montres, liées principalement par leurs durées de vies) ou relativement complexe (comme l’exemple des transports, liés aux circuits parcourus et aux chargements). Dans tous les cas, ce n’est que lorsque les quantités de services sont équilibrées qu’une comparaison de résultats d’ACV devient valide.

Ainsi, toute bonne utilisation d’une ACV ne saurait se faire sans maîtriser les subtilités liées à la nature du service et à la quantité de service. Dans le jargon d’ACV, c’est sous les noms de fonction, d’unité fonctionnelle et de flux de référence qu’il devient possible de débusquer les détails essentiels pour faire un usage éclairé des résultats d’ACV!

Par Xavier Tanguay, candidat au doctorat au LIRIDE (Université de Sherbrooke).

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